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Rentrée littéraire 

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Bertrand Belin (photo Bastien Burger)

Un touche-à-tout talentueux ! Je connaissais Bertrand Belin chanteur, je viens de découvrir l’auteur, qui avec « Grands carnivores » signe son (déjà) troisième roman. Après « Requin » et « Littoral », ce Breton d’origine installé à Paris revient sur les tables des librairies. Un début d’année faste pour ce quadragénaire musicien, auteur, compositeur et comédien. Outre son nouveau roman, il vient de sortir son sixième album,  » Persona », et est à l’affiche d’un film « Ma vie avec James Dean », dont il a également composé la musique.

 

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Deux frères que tout sépare. Deux frères dont on ne connaît ni les prénoms ni les noms. Pas plus que la ville dans laquelle ils vivent. Dans deux univers diamétralement opposés. L’un est le directeur nouvellement promu d’une usine d’outillage. Un notable arriviste, atrabilaire, méprisant, même avec sa femme.

L’autre est artiste peintre, et tire le diable par la queue, désargenté mais heureux avec sa nouvelle compagne.  La nouvelle exposition de ce dernier est l’occasion d’un brève rencontre entre les deux frères. Nouvel échec. Enième incompréhension.

Mais l’actualité va les rattraper. Un cirque vient d’arriver en ville. Comme tous les ans. Sauf que cette fois, pas de représentation. Et pour cause. Une demi-douzaine de fauves s’est enfuie. Le valet de cage s’interroge. Onze ans qu’il enchaîne les mêmes gestes. Il est sûr de n’avoir pas oublié de fermer les cages tandis que le malaise gagne la ville, le port et la population. Des grands carnivores ont pris leurs quartiers ( dans le faubourg ? Dans le quartier du Labyrinthe ?) sans que jamais personne ne les surprenne. Le dompteur, lui, est introuvable.

Mais, au final, qui a peur de qui ? Qui a peur d’être dévoré ? Et par qui ?

Bertrand Belin signe là un roman dense, à la langue riche. On voit les images et c’est un vrai bonheur. « Pour moi, les mots sont des sortes de coléoptères (…) des choses que je collectionne « , expliquait-il récemment dans une émission de radio. Et ça se voit !

Au fil des pages, ce tailleur de mots crooner à la voix de basse décline un univers insolite, hétéroclite. Une très jolie découverte !

 Extraits

Page 24 :  » Le récemment promu, qui s’entraîne depuis longtemps à ne rien éprouver qui puisse l’ébranler, a ceint ses méninges de douves. Toute intrusion dans le champ de son amour-propre se solde par un averse d’huile bouillante. Il n’y a que pour le fondateur qu’il abaisse le pont-levis, du moins tâche-t-il de lui en donner l’impression. Jamais, pour quiconque, sans l’assurance d’en tirer bénéfice, il n’y consentirait.  C’est pourquoi la semaine passée, piqué, remisant l’invitation dans son enveloppe, il s’est immédiatement  vidangé l’esprit des insolences du peintre ». 

Pages 45-46 : » Invisible depuis la route, trahie seulement par la présence en permanence de colonnes de fumée, le Labyrinthe, sorte de cité lacustre, amas de cabanes bringuebalantes, boucanées, noires de suie, qui déborde l’été de cris et de rires, est rempli l’hiver de silence et d’humidité. On y survit, rien de plus, en attendant que tombent ses dents, qu’aux hivers de prostration coupable et de copulations bâclées succèdent des étés de joie violente et alcoolisée. On y survit pour voir un autre que soi dormir, hagard, au bord d’un fleuve glacial et indifférent. Il ne s’agit pas d’un îlot oublié par l’histoire moderne, du reste d’une maladie datant du Moyen Age, impureté autour de laquelle le passage des siècles aurait construit un rempart, imitant le principe de la formation des perles, mais bien d’un aphte poussé dans la bouche d’une ville qui ne veut pas se goinfrer. »

 Pages 158-159 :« […] Au contraire, s’il prend aux bêtes, comme on le dit de ce matin, l’idée de se remplir en priorité l’estomac des hères galeux qui garnissent le Labyrinthe et le faubourg, les autorités, tout comme ce que la ville compte de population sérieuse, ne pourront que leur en être reconnaissantes. Ce qu’il faut à l’Empire unifié, c’est un homme providentiel. C’est ce que pense le fondateur d’âge avancé, c’est aussi ce que pense le récemment promu nouveau directeur, et c’est ce que son épouse. C’est exactement ce que pense la gouvernante et c’est l’opinion du fumeur de harengs, celle aussi d’une partie des clients de la Brasserie Centrale et de son propriétaire. Un homme sous le règne duquel aucun lion ne se serait par exemple échappé d’un cirque pour la raison évidente qu’aucun cirque ne saurait être toléré dans l’Empire ». 

« Grands carnivores », Bertrand Belin, P.O.L., 16€

 

 

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