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TOMBEE DES NUES

Un livre court au rythme haletant pour une histoire lourde. Avec « Tombée des nues », Violaine Bérot, quinquagénaire installée dans les Pyrénées, propose un nouveau roman qui ne laisse pas indifférent. Impossible. A cause de son sujet, grave et mystérieux à la fois : le déni de grossesse.

L’histoire, c’est donc celle de Baptiste et Marion qui ont décidé de reprendre une ferme, dans la montagne, à la lisière d’un village un peu paumé. Là, elle se charge d’élever des chèvres quand lui fait pousser des légumes et bâtit leur foyer. Un vie simple.

Jusqu’à cette nuit du 29 février. Froide et enneigée. Là, dans la baignoire de la maisonnée, Marion met au monde une petite fille. Elle ne savait cependant pas qu’elle était enceinte, qu’un petit être se lovait dans son ventre. Un choc. Un traumatisme que le couple va devoir encaisser. Avec pour chacun d’entre eux, une réaction différente. Quand Baptiste, qui n’avait jamais voulu d’enfant, savoure l’arrivée inopinée de cette petite, Marion se calfeutre dans le silence, se terre dans son lit. Elle n’avait rien demandé, rien vu. Rien ressenti. L’acceptation va prendre du temps. Plusieurs jours.

Sitôt la nouvelle sue au village – c’est Dédé, le voisin qui les a conduits tous les trois à l’hôpital – la communauté s’organise. Il faut aménager la maison, tricoter de la layette, trouver un prénom à bébé… et s’occuper du cheptel !

Au fil des pages, des chapitres très courts, sans majuscule ni ponctuation, qui donnent la parole à Marion, à Baptiste, à Tony son meilleur ami, à Dédé qui va prendre en charge les chèvres, à la mère de Marion, aux deux tenancières du café, à la femme du maire et institutrice retraitée qui suit toute cette agitation de sa fenêtre et à la sage-femme qui a accouché Marion. Elle sait ce qu’endure la quadragénaire déboussolée. Et va l »accompagner.

Un roman sensible, tout en nuances qui peut se lire de plusieurs manières. En suivant la chronologie du roman, page après page, en se concentrant sur les jours ( du mardi au vendredi) ou encore en suivant le déroulement de l’histoire via le ressenti des sept personnages narrateurs, en suivant le numéro du chapitre suivant indiqué entre parenthèses. Une lecture balisée qui permet d’aborder cette acceptation de diverses manières. Sans jugement.

Extraits

Page 42 :

24. « Cette mère avait donc accouché seule à son domicile, et ayant accouché n’avait pas pris conscience de ce qui venait de se passer, elle est arrivée à l’hôpital absolument mutique, le père l’accompagnait, mais affolé, perdu, lui non plus n’ayant pas compris, ils avaient été conduits jusqu’aux urgences par une autre personne, et quand j’ai accouru vers leur groupe ce deuxième homme m’a attrapée par le poignet, il m’a dit j’ai le petit, je me souviens qu’il a employé ce terme, le petit, il a ouvert sa veste et j’ai vu la serviette, le bébé était emmailloté à l’intérieur, tout le temps du trajet il était resté bien au chaud contre le torse de l’homme, il faut que vous sachiez qu’un enfant né dans de telles conditions est condamné si sa mère ne parvient pas à sortir rapidement de son apathie, ne perdez pas de vue que pour elle l’enfant n’est pas un enfant […] »

Pages 52-53 : 

33. « J’aurais voulu sauter dans le vide mais chaque fois qu’il le prononçait le mot m’enfonçait plus profondément dans la terre bourbeuse, je voulais voler et je m’engluais, la vase cherchait à me recouvrir, à m’ensevelir, à se refermer sur moi, je luttais mais Baptiste parlait encore et plus il parlait plus je m’affaiblissais, il répétait ce mot qui me noyait, je perdais pied, j’étais une plaie béante qui n’en finissait plus de se déchirer, j’aurais voulu hurler, j’aurais dû hurler, mais ma bouche était remplie de boue, Baptiste me tenait toujours dans ses bras et j’aurais voulu ne plus l’entendre, ne plus rien entendre, il répétait ce mot dans mes oreilles, il répétait toujours ce même mot, et je suppliais mes oreilles de s’emplir elles aussi de boue plutôt que de l’écouter, parce que ce mot non, je ne pouvais pas »

Pages 142-143 : 

115. « Marion ne sortait de sa torpeur que pour s’inquiéter de ses bêtes., j’observais cette femme avec laquelle j’avais choisi de vivre, je ne comprenais pas, je me disais mais quelle mère peut réagir ainsi, délaisser aussi radicalement son enfant, qu’a-t-elle Marion de cassé, de brisé, de détruit, pourquoi refuse-t-elle d’accepter ce bébé qui nous tombe du ciel, pourquoi ne réagit-elle pas comme moi, pourquoi ne l’aime-t-elle pas passionnément, pourquoi n’a-t-elle pas envie de se battre pour rattraper le retard, à moi elle n’adressait plus la parole, seulement ce sourire permanent sur son visage, et jamais un geste pour le bébé, elle laissait tout se dérouler sans montrer aucun intérêt à rien, elle ne semblait absolument pas concernée par le quotidien de l’enfant, elle nous regardait avec ce même air absent, ce même sourire immuable, et quand je m’approchais du lit cela provoquait toujours chez elle cet instant de frayeur qui la poussait à s’éloigner au maximum, je m’allongeais et lui tournais immédiatement le dos, et son corps que je savais pourtant couché à quelques centimètres du mien me paraissait à des kilomètres »

« Tombée des nues », Violaine Bérot, Buchet Chastel, 13 euros. 

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