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INHUMAINES Un style, chez un auteur, ça se travaille, ça se transforme, ça se bouleverse. Visiblement, Philippe Claudel s’est lancé dans une aventure littéraire dans son nouveau roman « Inhumaines ».

L’écrivain et réalisateur lorrain n’est pas du genre à se laisser enfermer dans une case. Ou dans un genre.

Au fil des pages, de courtes histoires dans lesquelles les codes, la bienséance et notre société sont littéralement atomisés.

Philippe Claudel, que nous avions connu notamment avec « Les âmes grises » en 2003, fait tout exploser pour nous faire réagir. Rire ou nous offusquer. C’est selon.

Il nous plonge dans vingt-cinq histoires glaçantes, provocantes, outrancières, absurdes, grotesques… et pourtant si plausibles.

Passez la couverture qui reprend les codes d’un film porno (mais avec des vêtements, hein !) et entrez dans les vies de cet homme qui offre trois amants à sa femme pour Noël, dans celle de son collègue de bureau qui se marie à une ourse, partagez les jeux dangereux et mortels de ces employés pendant un challenge d’entreprises (ils jettent des projectiles d’un pont de l’autoroute), mangez votre mère des semaines durant en steak ou en ragoût après l’avoir tuée, etc. Ici, plus rien (ni personne d’ailleurs) n’a d’importance. On pousse le curseur, on exagère, on désespère.

Chez Philippe Claudel, la société est particulièrement segmentée, clivante. Il y a des parcs à pauvres, des SDF gelés gisant dans la rue se vendent au plus offrant comme une oeuvre d’art et le sexe entre hommes entre femmes et entre les deux sexes est omniprésent. Une monnaie comme une autre, une denrée périssable aussi.

 » Nous sommes devenus des monstres. On pourrait s’en affliger. Mieux vaut en rire « , dit la quatrième de couverture de ce « roman des moeurs contemporaines ». Alors rions-en même si le malaise nous gagne. Rions, quitte à s’étrangler. Quitte à ne plus rien prendre au sérieux.

Des histoires qui choquent ou amusent, un style sec , des phrases courtes qui percutent… Philippe Claudel a changé d’univers. Laissez-vous tenter ;-)

Extraits

Page 53 : (« Tout doit disparaître »)

« Qui a mis cette annonce. Bourin. Du service merchandising. Oui. Nous étions devant le panneau réservé aux messages personnels. Morel et moi. Il y en avait de toutes sortes. Nos collègues vendaient ou recherchaient des femmes de ménage. Des tondeuses. Des appartements à la montagne. Trois chiots de race épagneule. Un service à fondue. Un jet-ski. Du bois de chauffage coupé en bûches de 50. Deux essaims d’abeilles. Trois Polonais en règle. Un terrain à bâtir. Cinquante voitures miniatures de collection. Un pénis artificiel et ses quatre embouts d’origine, fonctionnant sur piles ou sur secteur. Un pantalon en cuir lavable taille 42. Des oeufs frais en provenance directe de la ferme. Et puis Dieu. L’annonce était ainsi formulée. »

Page 115 : (« Le vivre ensemble »)

« Hier un automobiliste nous a fait un doigt. Nous le lui avons coupé. Nous ne supportons pas les incivilités. C’est agaçant.Dubois a toujours quelques outils dans son coffre. On ne sait jamais. Pince multiprise. Cric. Chaînes à neige mais il ne neige désormais que rarement. Le réchauffement climatique n’est finalement pas un canular. C’est dommage. On aurait pu enfin rire. Pourquoi nous avoir fait un doigt monsieur. L’homme était à terre. Il avait perdu la hargne arrogante qui déformait son visage quand il nous avait dépassés et insultés en klaxonnant parce que nous respections la limitation de vitesse. Nous l’avions de nouveau doublé et stoppé grâce à une banale queue de poisson. Les grands classiques. Inusables. Dubois est un as du volant. « 

 Page 125 :  (« Le sens de la vie »)

« Nous invitons parfois à la maison des philosophes que nous trouvons dans la rue, sous des porches, recroquevillés en boule comme de vieux papiers usagés. Fumet de crasse et de jeune fille sale. Dans leurs cheveux se mêlent des souvenirs de gaz d’échappement et d’antiques miettes de pain. Le plus souvent ils sont édentés et leurs mâchoires roses les font paraître de très vieux enfants. Ma femme ne les aime guère mais tolère les caprices. Expliquez-moi la vie. Expliquez-moi la mort. Le bleu du ciel. Le désir. Les rêves. Dieu. La souplesse des peaux. Et l’ennui. Surtout l’ennui. Expliquez-nous l’ennui. Les philosophes nous regardent. Ils se taisent. Ils ne parlent pas la bouche pleine. »

« Inhumaines », Philippe Claudel, Stock, 16,50€.

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