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Vous prenez une maison bourgeoise un peu décrépite mais décorée avec goût et talent. Vous la posez à Marseille. Vous y faites cohabiter trois générations qui n’ont pas réglé leurs problèmes, vous y ajoutez un fantôme,une famille de domestiques philippins et vous obtenez un roman drôle et ironique sur la vie de famille.

« Je viens » est le dixième roman écrit par Emmanuelle Bayamack-Tam. Celle-ci vit et enseigne en région parisienne.

L’histoire ? Elle est racontée d’abord par Charonne, puis par sa sa grand-mère Nelly et enfin par sa mère adoptive, Gladys. L’histoire, c’est celle d’une famille qui fonctionne sur des malentendus, des non-dits et des a priori. Rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous, c’est comme chez tout le monde. Sauf que là,  tout est exacerbé et qu’un fantôme s’en mêle, installé à l’occasion dans le bureau cosy de la maison.

On y parle du temps qui passe, de la beauté qui flétrit, de l’amour qui ne naîtra pas, des apparences qu’il faut garder, du racisme qui pollue et de l’argent qui continue de faire marcher le monde…

Charonne, elle, aimerait bien changer tout cela. Le personnage, suivi de l’enfance à l’âge adulte, a été adoptée par Gladys et Régis, son mari-frère ( la mère de l’une et le père de l’autre se sont mariés, les enfants ne se sont jamais quittés). Charonne est métisse et très très forte. De quoi dégoûter rapidement sa mère adoptive de l’avoir choisie alors qu’elle est un corps tout sec à force de choix alimentaires curieux. Alors Charonne se bat contre la solitude dans laquelle on la laisse, le manque d’amour dont elle souffre. Et s’invente d’autres vies quand elle ne se réfugie pas dans celle de sa grand-mère adoptive, Nelly, ancienne starlette et comédienne aujourd’hui octogénaire.

Nelly, c’est elle la seconde narratrice. On plonge dans ses souvenirs. Ceux d’une jeune fille prude et naïve épousée par Fernand, plus vieux qu’elle. C’est lui qui bâtira sa carrière. Qui fera fructifier le patrimoine. Celui qu’elle n’aimera jamais autant qu’une fois qu’elle aura épousé le beau Charlie…  qui n’aime que lui-même et qui est aujourd’hui un vieillard sénile et raciste.

Nelly, qui a toujours tout contrôlé de sa petite personne voit son corps vieillir, se décharner… et veut mourir.

Et puis il y a Gladys. Celle qui n’a rien compris. Qui n’a pas accepté le mensonge présumé de son père, qui n’a pas accepté le remariage de sa mère, qui n’a pas voulu que sa féminité puisse être vu, qui a préféré se marier avec celui qui était déjà comme son frère, qui n’a jamais pardonné à sa mère d’être belle et d’en jouer, qui a voulu renvoyer Charonne dans un foyer après un an passé sous le même toit…

A un moment ou à un autre, un fantôme, chaque fois différent, leur apparaît dans le bureau. Histoire de leur ouvrir les yeux. De leur faire comprendre. Ou pas.

Extraits

 Pages 66-67 : « Je vais sur mes sept ans et, croyez-le ou pas, l’idée du suicide m’a déjà effleurée. S’il n’y avait la promesse informulée par Coco de Colchide, et si je ne me sentais pas investie d’une mission, si je n’avais pas toute une famille à sauver d’elle -même, peut-être aurais-je déjà fait le saut qui sépare une vie sans amour d’une inconcevable au-delà. Ce ne serait pas pour toujours : ça durerait le temps que mes parents comprennent la chance qu’ils ont eue de m’adopter et le drame que constitue ma perte. Gladys et Régis ont besoin que le sang coule, ils ont besoin d’en être éclaboussés une bonne fois, et autant que ce soit le mien, ce sang qui n’est pas le leur et qui les empêche bêtement de m’aimer. »

 Page 171 : « Il m’a aimée – comme il m’a aimée ! Et comme il m’a rendue heureuse, aussi, même si je gâchais tout par des bouderies, des représailles injustes, des caprices d’enfants qui ne sait pas à quel point elle est gâtée.

J’ai retrouvé ça avec ma fille, cette incapacité à mesurer sa chance et à s’en féliciter. Il faut croire que je lui ai transmis mon insatisfaction foncière en lieu et place de ma beauté sensationnelle. Et là encore, la vie est mal faite : aujourd’hui que je suis devenue facile à contenter et que je me réjouis d’un rien, je n’ai pus beaucoup de raisons de me réjouir. La Beauté, en tout cas, c’est bien fini ; je suis vieille, et Gladys a flingué la sienne. »

Page 359 : « Finalement, je n’ai ni parents ni enfant à proprement parler, et c’est très bien comme ça. J’ai commencé à être heureuse le jour où j’ai renoncé à attendre quoi que ce soit de mes ascendants et descendants. Et peut-être n’est-ce pas un hasard si mon utérus s’est refusé aussi farouchement à la procréation. Il savait mieux que moi sue je n’avais pas besoin d’enfanter pour me réaliser.

Je dois reconnaître à Charonne qu’elle n’exige pas grand-chose de nous. Elle aussi a dû renoncer à l’heureuse fiction familiale, même si je ne situe pas exactement le moment de son renoncement. Il me semble qu’à neuf ans, c’était déjà plié de son côté. »

 Mon avis

 C’est la quatrième de couverture de ce roman qui m’a donné envie d’en tourner les pages et d’y plonger. Un bon moment de lecture, dû sans nul doute au sujet, universel. La famille, de sang comme de coeur, est un sujet inépuisable. Et celle-là est particulièrement gratinée, il faut bien le dire. Un roman dans lequel les femmes ont le bon rôle, celui de l’action.

« Je viens », Emmanuelle Bayamack-Tam, P.O.L., 19,90€.

 

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