L’année du lièvre : la tragédie cambodgienne en BD



« Eh ben, c’est gai ce que vous êtes en train de raconter ! La torture, tout ça… ». La plume de Guillaume Long se fige un instant, son regard se porte vers sa gauche. Stupéfait, l’auteur du blog À boire et à manger dévisage son voisin de dédicace, un jeune homme d’une trentaine d’années: Tian, auteur du touchant L’année du lièvre chez Gallimard.

Le jeune homme sourit timidement tout en replongeant son pinceau dans ses pastilles de gouache pour terminer une dédicace, un petit garçon ému par le vol d’une libellule.

Tian – Chan Visnea – est né en avril 1975 au Cambodge, sur la route de l’exode auquel sa famille a été contrainte comme tous les habitants de Phnom Penh, la capitale nouvellement « libérée » par les Khmers Rouges.

Pendant cinq ans, la famille survit tant bien que mal sous le régime de Pol Pot. Après la réouverture de la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande en 1979, elle parvient finalement à quitter le pays et trouve refuge en France en 1980.

Tian grandit en France, jongle entre le khmer et le français, fait des études d’arts à Strasbourg…

Tian, lors du festival d'Angoulême 2012.

La famille se reconstruit doucement, loin du Cambodge et de ses fantômes.

Comme dans de nombreuses familles cambodgiennes, on ne parle pas spontanément de cette période, de peur de raviver de douloureux souvenirs. « C’est grâce à ma compagne que mes parents se sont mis à parler de notre vie au Cambodge et de notre famille, confie Tian. Dans L’année du lièvre, il y a certains membres de ma famille que je n’ai pas connus. Je me suis inspiré des descriptions qu’en faisaient mes proches pour les représenter… comme pour les faire vivre à nouveau, avec moi ».

De cet impérieux besoin est tout d’abord né un blog, www.lanneedulievre.blogspot.com, puis un album, dont le premier tome Au revoir Phnom Penh est sorti en avril 2011.

Préfacé par le cinéaste Rithy Panh, l’ouvrage a été retenu pour la sélection officielle du Festival d’Angoulême 2012. Il retrace l’histoire de la famille de Tian lors des premières semaines du régime Khmer Rouge en avril 1975.

Le dessin de Tian, simple et précis, les couleurs et la narration – dans laquelle s’immiscent de nombreux mots khmers – posent le décor de l’histoire mouvementée de la famille, un Cambodge déstabilisé, soumis à un régime totalitaire et sanguinaire.

Très vite, l’euphorie de la « libération » de Phnom Penh (incarnée notamment par l’oncle Vuthy) cède la place à la peur de la violence khmère rouge. Le moindre geste, la moindre parole peut être fatal. Il vaut mieux alors « planter le kapokier, puis le palmier », « ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire ».

Ses parents n’ont alors qu’un objectif : rejoindre Battambang, situé à l’est du pays.

Le tome 2 doit paraître en septembre prochain.

  • PS : Le 3 février dernier, Douch, responsable du centre de torture S-21, a été condamné en appel à la prison à perpétuité par le tribunal spécial chargé de juger les responsables Khmers Rouges, encore en vie, au Cambodge.
  • Un autre auteur d’origine cambodgienne, Séra, a témoigné de son histoire dans un très bel album, La terre et l’eau (chez Delcourt).
  • Rithy Panh a réalisé plusieurs documentaires sur la période khmère rouge : Bophana, une tragédie cambodgienne, S-21, la machine de mort khmère et Douch, le maître des forges de l’enfer. 
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4 réponses à L’année du lièvre : la tragédie cambodgienne en BD

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  4. Agnès Peysson-Zeiss dit :

    Bonjour,

    j’aimerais prendre contact avec Tian car je travaille sur le roman graphique et les génocides/massacres/ guerres: Cambodge, Rwanda, Liban etc… et comme je serai en France pendant l’été, je me demandais s’il serait possible de rencontrer Tian pour discuter de son travail. Je voudrais donner un cours sur le roman graphique à l’avenir.
    Cordialement,
    Agnès Peysson-Zeiss
    Bryn Mawr College USA

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